Au delà du sapin
Sapin d'or dort sous les dorures de son artificielle parure en attendant de sombrer dans le tas d'ordures comme tous ses frères sacrifiés sur l'autel des dividendes. On veut bien Noël pour les bénéfices, mais on veut pas de son sens, et on s'abîme dans la pléthore de gaspillage sans lequel des tas de commerçants boiraient le bouillon, voire finiraient dans une caisse en sapin. On approche du temps où on rebaptisera notre fête traditionnelle "fête commerciale d'hiver"... On parie ? La chasse aux crèches est ouverte, mais aussi à Saint Nicolas, y compris ai-je lu, en Alsace, ce qui est un comble ! Comme si les marmots allaient faire leur prière dans une école en voyant débarquer un bonhomme barbu chargé de sucreries. Il y a 16 piges seulement, on était moins chien. Et j'ai tenu le rôle de papa Noël dans une galerie commerciale, cette année-là. Il y avait une énorme crèche, au pied d'un immense sapin. Personne n'y trouvait à redire. Le directeur voyait là le plus gros chiffre d'affaire de l'année ; les parents venaient faire photographier les enfants, attirés par la plus belle déco de la ville ; avec, pensait-il, le barbu le plus qualifié de la ville. Il m'avait choisi parce que j'ai déjà fait du ciné et de la TV, et que y'avait pas ça en dehors de moi à portée. Chasse aux racines de Noël par bêtise, mais qui s'attaquera à l'impact écologique de Noël ? L'impact social aussi ? Les inégalités sont encore plus ressenties à ce moment-là. Des miettes sont jetées aux pauvres, à condition d'entrer dans les critères, pour les consoler de ne pas pouvoir suivre le train infernal de la débauche de consommation.
Je n'ai rien contre les déco de Noël, au contraire. Tenez, ce sapin là, rue Victor Hugo, qu'on devrait rebaptiser place ou avenue maintenant que c'est une vaste esplanade minérale trop vide, je l'ai photographié parce que je l'ai trouvé joli, et qu'il égaie ce grand espace désolant. Je préfère en extérieur le sapin naturel, odorant, qui aura fourni sa dose de chlorophylle et fait travailler des jardiniers, au plastique qui envahit tout et ruine la Terre. Ce que je déplore, c'est qu'en cela comme en autre chose, on ne se soucie pas de l'impact de ce qu'on fait.
S'est-on un jour soucié de l'impact des mécanismes de l'aléatoire irrationnel de notre société ? Les photos là, récupérées chez un pote de FB, datent de la nuit du 24 janvier 1924 et parlent toutes seules pour ce qui est des retombées sociales du libéralisme inconscient ; si science sans conscience est ruine de l'âme comme l'énonçait déjà Rabelais, commerce et exploitation sans conscience est ruine de l'homme et de la Terre. En ce temps là déjà des travailleurs pauvres dormaient dehors ; les deux dernières photos, il s'agit de manutentionnaires d'occasion qui attendent l'ouverture des halles, payés à la journée quand ils arrivent à se placer, pour aider à décharger et mettre en place. On présente comme nouveau le phénomène des travailleurs SDF alors qu'il est ancré dans l'histoire du développement économique. Aujourd'hui certains s'en soucient, du bout des lèvres, mais il faudrait changer la structure sociale à l'échelle planétaire pour en sortir. C'est un phénomène au visage protéiforme qui fut longtemps invisible et indifférent. Il existait aussi dans nos années 70, dont on s'imagine qu'elles étaient florissantes. La précarité n'avait juste pas de visage, et souvent clandestine. J'en ai fait partie un certain temps. La première image, elle, témoigne de ce que d'autres, comme aujourd'hui, traînaient leurs échecs dans une société féroce, sur les bancs publics. Traqués comme des coupables. Déjà on gaspillait l'homme comme on gaspillait la nature. Tout ce qui était exploitable était exploité sans souci des retombées.
On s'alarme, par exemple, de la disparition des derniers éléphants, des dernières panthères, des dernières girafes. Classées espèces en voie de disparition ou disparues, à cause dit-on du braconnage. Ce sont toujours les grosses choses qui inquiètent, maintenant que l'homme proliférant a bouffé tout l'espace vital de ces animaux qui disparaissent surtout parce qu'ils sont confinés à des parcs peau de chagrin. Il fut un temps où on les chassait comme aujourd'hui la perdrix. J'ai lu ces récits épiques de chasses aux trophées dans des "Chasseur Français" (la revue de Manufrance) d'époque. Il y avait apparemment pléthore de ces espèces qui servaient de jouets aux riches adeptes de safaris. Les mêmes, qui tenaient l'Afrique sous le boisseau, responsables de la misère sociale évoquée plus haut. La nature était un vivier, l'humanité taillable et corvéable à merci, la République n'avait rien changé aux mentalités. Elle les avait même aggravées. Il n'y avait plus aucun frein aux appétits ; l'idée de culpabilité avait été balayée des consciences par la condamnation de l'idée de sacré qui était réduit à du folklore de campagne. Rien n'a vraiment changé et maintenant qu'entrainés par la boule de neige des conséquences on constate les dégâts, on se contente de cautères sur jambe de bois. On s'alarme de la chasse aux baleines, mais pas des gouttes qui rongent le tissus de la vie. Se soucier d'une petite fleur qui disparaîtra à jamais est laissé à quelques utopistes qu'on s'acharne à fustiger par médias interposés. Je pense au tissus économique et à la biodiversité massacrés au nom d'un aéroport qui contribuera à intensifier et généraliser les pics de pollution par exemple. Mais aussi à des petits détails quotidiens dont tout le monde se fiche à de rares exceptions près. Et quand une mesure est prise, son impact n'est pas toujours si écologique. Ainsi à Niort on a créé une passe à poissons pour faciliter leur passage, du côté des anciennes usines Boinot. Bien, très bien... L'ennui est qu'on a totalement minéralisé les rives. Adieu à la diversité biologique de plantes et fleurs sauvages qui nourrissait toute une diversité de petits rongeurs, de pollinisateurs et attirait bergeronnettes, merles, rouge-gorges, mésanges, héron... Mais qu'allait-on se soucier de ça ?
Le billet de Théo, notre chroniqueur local, ce 9 décembre, témoigne du mépris dont ce souci est l'objet. C'est pourtant dans les petits détails, dans les arrières cours et les terrains vagues qu'elle se niche la biodiversité ; les arbres à papillons qui attirent les derniers pollinisateurs sans qui nous aurions si peu de temps à vivre, c'est là qu'ils poussent. Avec toujours le même mépris pour la vie on a éradiqué ceux de la rue Victor Schœlcher, qui à dire vrai, servaient surtout de dépôts d'ordures pour les riverains. On a bitumé, c'est maintenant gris cimetière, la propreté d'une dernière demeure... la nôtre ? Et à propos, qui se soucie de l'impact de tout ce bitume, quand lessivé et usé par les intempéries il est entrainé dans les eaux ruisselantes ?
Des bonnes volontés se mobilisent, tentent de coller des rustines ici et là pour empêcher le radeau de la méduse de sombrer trop vite. Globalement le reste de l'humanité pense à sa survie pour les uns, à ses dividendes pour les autres.
Le parc de loisirs et de commerces Europacity doit ouvrir ses portes en 2024. Pour financer ce projet très contesté, la branche immobilière d'Auchan s'est associée à Wanda, un géant chinois. Europacity est un projet colossal qui doit voir le jour à Gonesse (Val-d'Oise), au nord de Paris, en 2024 au plus tôt.
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On conçoit des projets toujours plus fous, toujours plus grandioses dont je relaie un exemple ci dessus. L'inconscience est au pouvoir et la pensée à la remorque. Descartes croyait la pensée expression de l'être : "je pense donc je suis", prenant à contre courant la réalité, qui induit qu'on pense parce qu'on existe au sein d'une culture globale. C'est elle qui par interaction génére la pensée, outil de la conscience. Suivant où on place sa conscience, on interragit différemment. On se comporte différemment. Toute l'année et pas seulement à Noël. Fête noyée dans l'illusion de féérie en une débauche d'énergie utilisée comme autant de lampions à décimer les papillons. Vous vous donnez l'illusion de générosité en comblant de gadgets vos proches et en bâfrant en une soirée ce que certains n'ont pas dans le mois pour bouffer. Qu'importe l'impact social et écologique ? Je serais parmi ceux qui, pendant ce temps-là, grelotteront autour d'une maigre pitance ; du moins si je vis jusque là ; mais c'est une autre histoire... Pendant qu'à la TV, l'armée mexicaine à la mode Porfirio Díaz ; où il y avait plus de colonels que de troufions, dixit Zapata, dopés à la marie jeanne (se conf "la cocaracha") les politichiens vous font des ronds de jambes, paons parés et bateleurs roués, dans la danse de mort en vue de la prochaine pestilentielle qui accouchera comme d'hab' de toujours plus de destruction de l'avenir, n'importe l'étiquette du produit qu'on vous aura vendu.
Noël ? On décore le béton dont on dame la Terre pour oublier le temps d'une nuit qu'on a perdu tout sens à la vie et qu'on est occupé à la condamner, dans un monde où il faut se cacher pour aborder les choses autrement. Le sapin, c'est l'arbre qui cache notre jungle ; pas celle de Calais, où les gens ne sont pas plus sauvages que vous ; la nôtre, impitoyable, construite sur l'avidité et le gaspillage.